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mercredi 12 juin 2013

Prendre du recul

Faut-il se réjouir ou faut-il s’inquiéter ? Voilà bien le dilemme d’un certain nombre de chrétiens depuis quelques mois. L’arrivée de la gauche au pouvoir en France alors que la crise traverse toutes les économies occidentales et l’option contestable d’un gouvernement de mettre  une loi sociétale comme priorité gouvernementale ont mis le feu aux poudres. La droite qui se divisait dans des querelles de personnes fait front commun autour d’une urgence de salut public : le devenir de la famille. Des catholiques se réveillent et retrouvent une espérance en se mobilisant et en occupant le pavé. La patrie est en danger et les slogans fusent sans toujours appeler la réflexion et le débat. Au risque de paraître complice d’une décadence annoncée, il me semble utile d’inviter des croyants authentiques à prendre du recul.

La famille est plébiscitée dans les enquêtes d’opinion ; y compris par ceux qui n’ont vécu que des situations douloureuses et des blessures. Mais la famille est devenue lentement à géométrie variable. Personne ne se réjouit des fractures, divorces et autres recompositions. Nous savons tous qu’à trop valoriser l’amour, nous fragilisons l’union conjugale. Lieu de reconnaissances mutuelles, la famille est aussi lieu de violence. Nous savons bien que parfois une façade de respectabilité cache un vécu de souffrances. L’évolution des mœurs depuis cinquante ans conduit à accepter d’accompagner dans la compréhension et l’amour des situations naguère inacceptables. Je pense même qu’il est de la mission des chrétiens de proposer des espaces de paroles pour celles et ceux qui sont ainsi affrontés à l’échec et à l’incompréhension.

L’évidente affirmation de la norme peut blesser profondément ceux qui avancent sur des chemins de traverse. L’Evangile nous montre un Christ infiniment respectueux de la différence, puisqu’il n’est pas venu pour les justes, mais pour les pêcheurs… Certaines attitudes peuvent faire penser à l’arrogance des pharisiens entourant la femme adultère de leur certitude (Jean 8). Notre société a légalisé la vente des pilules contraceptives, l’avortement, le diagnostic prénatal, la procréation médicalement assistée avec sperme de donneur, l’adoption par des célibataires….Elle légalise le mariage pour les personnes homosexuelles (après le PACS). Sans introduire la notion ambivalente de « progrès », il nous faut reconnaître que cette évolution des mœurs peut interroger nos repères moraux sans nous conduire à la révolte sociétale. Nous vivons dans un monde ou le légal n’est pas le moral et tous les croyants doivent en être persuadés. Notre mission, à tous, est d’aider les consciences à se former.

Plus largement, nous pouvons repérer des évolutions qui inquiètent. La démocratie est pleine de limites, que le pouvoir médiatique ne fait qu’accentuer. Nous risquons de douter de tous les élus (tous pourris !), nous risquons d’entendre les sirènes de ceux qui prônent un pouvoir fort et un grand nettoyage des « écuries d’Augias ». Nous banalisons des thèses qui ont une empreinte historique indélébile : un antisémitisme rampant devant l’ « envahissement » de certains secteurs par des personnes au nom à consonance juive, la xénophobie qui a trouvé dans l’islam le danger récurrent de l’ennemi qui va nous submerger, la diminution des solidarités sous prétexte que l’état providence favorise la fainéantise, le jugement sur les fonctionnaires qui gaspillent l’argent gagné par d’autres catégories professionnelles…etc.

Un regard sur la situation mondiale peut nous aider à relativiser l’impression d’être dans un pays où tout est mal géré. Une compréhension des enjeux de la lente construction européenne peut nous conduire à ne pas toujours faire de Bruxelles le bouc émissaire des problèmes hexagonaux. Une mise en perspective historique peut favoriser une analyse de fractures françaises qui étonnent les observateurs étrangers. Dans tous ces chantiers, la foi chrétienne doit nous libérer de préjugés, de réflexes identitaires, de peurs irréfléchies et de crispations sociales. La vie en société (et donc la vie politique) est faite de compromis qui ne sont pas nécessairement teintés de compromissions. De quelle espérance sommes-nous les témoins dans ces temps troublés de crise mondiale ?

S’il est essentiel de devenir les veilleurs d’une écologie humaine, il faut donner à ce terme toute la force que les derniers papes lui ont donnée en mettant l’homme au cœur de la question sociale. Comment repérer les structures de péché qui enferment l’homme et font des ouvriers des variables d’ajustement, dans le grand « Monopoly » contemporain ? Comment interpeller nos gouvernements pour que les engagements à l’égard des pays pauvres (en particulier africains) soient tenus ? Comment développer une conscience de l’impôt comme manière de travailler à la justice et à la cohésion sociale ? Comment développer le goût des métiers d’aide à la personne et plus largement les métiers de la fonction publique au service de la personne humaine ? Comment faire de la diaconie dans l’Église une réalité en donnant effectivement la parole aux plus pauvres ? Comment entrer plus profondément dans une économie de partage et de don (Benoît XVI y invitait dans sa dernière encyclique) ?

Oui, je me réjouis de voir autant d’énergie déployée par de jeunes chrétiens. Mais, je souhaite que cette énergie ne se laisse pas récupérer politiquement. Je souhaite également que l’on passe de la colère et de la dérision au dialogue respectueux avec toutes les composantes de la société. Les réseaux sociaux peuvent nous donner l’impression que la rue devient un peu partout le lieu normal de l’expression. Ne nous laissons pas prendre au piège connu dans les années 68 du diptyque : manifestation/répression… Ne nous laissons pas instrumentaliser…Par quelques gestes symboliques, le pape François nous convoque à l’essentiel.
                                                                                                     Jean-Marie ONFRAY

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