Nous sommes façonnés par les images et nous sommes fascinés par les images. Réfléchir cette question m’amène à repenser à l’expression de Jésus s’adressant à Thomas : « Bienheureux ceux qui, sans avoir vu, ont cru ». Notre désir de voir pour croire exprime bien notre difficulté à donner notre confiance. Nous vivons dans un monde d’images qui nous illusionnent. « Vu à la Télé » devient un critère de crédibilité.
Nous ne sommes pas sans savoir que la tradition biblique nous recommande de ne pas faire de représentation (d’idole). Nos amis juifs et musulmans ont sauvegardé avec vigueur l’exigence de cet interdit. Se faire une image, c’est vouloir mettre la main sur une réalité qui souvent nous dépasse et oublier s’agissant de Dieu que « vos pensées ne sont pas mes pensées et mes chemins ne sont pas vos chemins » (Is 55,8)
La tradition spirituelle insiste plus sur le fait de se laisser regarder par Dieu, se mettre en présence de son mystère. Nous avons en mémoire le chant : « N’aie pas peur, laisse-toi regarder par le Christ ». Dans l’orthodoxie, la spiritualité de l’icône (qui est tout sauf une idole) est un appel à se laisser habiter par le mystère. Nous risquons toujours de vouloir mettre la main (retenir) sur ce que nous ne comprenons pas. Comment mettre en image l’intime, l’écoute, la quête de Dieu, le silence et l’invisible ?...Certains films (nous pensons à « Des hommes et des dieux ») y sont parvenus.
Submergés par les images, nous ne savons plus poser notre regard. Car regarder n’est pas la même chose que voir. Il y a une égale différence entre écouter et entendre… Regarder s’apprend, se cultive. Ce n’est pas évident ! Regarder est une invitation à la contemplation. Pouvoir s’arrêter et interrompre le défilé incessant des images (télévision, cinéma, ordinateur…). Ne plus être dans la tentation du zapping…la démarche spirituelle appelle ce temps de pause, d’arrêt sur image.
Et pourtant, puisque l’image tient une grande place dans notre rapport au réel, dans notre conception de l’information, de la communication et du divertissement, nous devons en Église réfléchir à notre présence dans ces mondes de l’audiovisuel, de la communication, du cinéma. Nous avons à éduquer notre regard, à nous former à la culture de l’image, pour ne pas être consommateurs passifs (et parfois exagérément critiques) de productions qui ne jouent plus sur le raisonnement mais sur la sensibilité et l’esthétique.
Quelle image voulons-nous donner de l’Église ? Nous sommes souvent gênés par certaines présentations qui nous paraissent trahir la réalité de la vie des chrétiens. L’image (dans certains films et certaines publicités) est souvent folklorique voire caricaturale. Nous pouvons même parfois avoir l’impression que l’humour se fait facilement dérision. Même si, avec Saint Exupéry, nous pensons que « l’essentiel est invisible pour les yeux », nous devons nous interroger pour savoir quelle image nous souhaitons transmettre de l’Église en général et de ce que nous vivons en Église de manière particulière. Nous touchons là, à notre propre désir de communiquer avec d’autres outils que le raisonnement intellectuel. L’expérience chrétienne qui a germé dans le monde juif (sémitique) a connu une première traduction (et sans doute trahison) dans le passage à la culture grecque. Depuis lors, bien des formes d’inculturation ont été vécues. La Foi nourrit les cultures et se laisse nourrir par elles…Il nous faut accepter aujourd’hui cette rencontre entre la riche tradition chrétienne et la culture contemporaine qui donne à l’image une place essentielle. L’art chrétien n’est pas seulement l’art des siècles passés !
Bernard Bro a écrit un livre dont le titre était : « La beauté sauvera le monde ». Nous pouvons y croire et nous inscrire positivement dans cette culture de la représentation. Nous perdrons parfois nos repères sensibles, en acceptant de nouvelles harmoniques, de nouveaux rapports aux couleurs et aux formes. L’image est toujours l’image de son absence ; cela est vrai de l’homme dans la Création divine. Elle révèle et masque en même temps ce qu’elle prétend révéler. Le Beau n’enferme pas, il est comme une porte qui invite au voyage (spirituel)…
Jean-Marie Onfray
Délégué diocésain au monde la culture
article paru dans Eglise en Touraine - février 2013 n° 39